Appel à contributions pour le numéro 8 de Trajectoires
CFP Figures d’autorité (Approches théorique, épistémologique, empirique)
Date limite : 20/03/2014
Ce huitième numéro de Trajectoires se propose d’étudier, de manière interdisciplinaire, une notion classique des sciences humaines et sociales : la notion d’autorité. Régulièrement employée dans différents champs du monde social, la notion d’autorité recouvre une variété de situations qui d’une certaine manière contribue à l’usage souvent flou du terme. Quels points communs existe-t-il entre l’autorité parentale, l’autorité du héros, l’autorité de l’Etat, l’autorité religieuse, l’autorité morale, l’autorité des intellectuels ou encore l’autorité professionnelle ? Assurément des relations de domination, de pouvoir et de luttes de pouvoir entre des agents en interaction.
L’identification des trois idéaux types de domination (traditionnelle, charismatique et légale-rationnelle) proposée par Max Weber permet de mieux penser le lien entre autorité, domination et légitimation. Pour Weber, la domination est « la chance pour des ordres spécifiques (ou pour tous les autres), de trouver obéissance de la part d’un groupe déterminé d’individus. […] En ce sens, la domination (‘l’autorité’) peut reposer, dans un cas particulier, sur les motifs les plus divers de la docilité : de la morne habitude aux pures considérations rationnelles en finalité. » 1 Weber s’intéresse aux formes de domination « légitime », aussi l’autorité est-elle liée à un « minimum de volonté d’obéir ». Dans le prolongement de cette définition, il nous semble intéressant de déplacer la focale d’analyse en nous concentrant notamment sur les figures de l’autorité.
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S’intéresser aux façons dont est incarnée l’autorité, c’est se permettre de penser à la fois les modes de légitimation des rapports de pouvoirs entre agents sociaux mais également d’étudier empiriquement les stratégies, les manières d’être, les contextes géographiques et historiques qui conditionnent l’incarnation de l’autorité. S’intéresser aux figures de l’autorité permet également, en déplaçant le regard sur des acteurs – réels ou symboliques – d’atténuer les spécificités disciplinaires des sciences humaines et sociales.
Les figures d’autorité se situent traditionnellement au centre des préoccupations des historiens. L’historiographie classique accorde une place importante aux « grands hommes » et évoque les biographies et hauts faits des figures d’autorité auxquelles elle attribue fréquemment une valeur de symbole ou d’exemple. Ce type d’historiographie peut également revêtir une fonction de légitimation ou glorification du pouvoir. Penser les figures d’autorité aujourd’hui consiste à éviter ces travers de l’histoire biographique, et implique de déconstruire ces figures en prenant en compte une multiplicité de facteurs (biographiques, contextuels, sociaux) permettant de mieux comprendre comment se structurent et s’incarnent les figures de l’autorité.
Étudier les figures de l’autorité, c’est aussi chercher à comprendre comment les acteurs politiques assoient leur domination par le mot et l’image. L’étude du discours permet ainsi d’analyser empiriquement comment les figures d’autorités (ré)affirment leur position dominante. Mais comme l’affirme Pierre Bourdieu dans Langage et pouvoir symbolique : « le pouvoir de maintenir l’ordre ou de le subvertir, c’est la croyance dans la légitimité des mots et de celui qui les prononce, croyance qu’il n’appartient pas aux mots de produire ». 2 L’autorité suppose ainsi le recours à des dispositifs de légitimation, tels que le symbole, l’allégorie ou le portrait. Dans Le pouvoir sur scènes, Georges Balandier souligne l’importance de la mise en scène et de l’incarnation de l’autorité politique en affirmant que les figures d’autorité obtiennent la subordination par le moyen de la théâtralité. 3 Quatre siècles plus tôt, Machiavel soulignait déjà la puissance de l’imagerie dans la construction de l’autorité du Prince : « Gouverner c’est faire croire ». Les mises en scène de l’autorité et la communication politique ne constituent donc pas des phénomènes récents.
Dans les sciences littéraires, les figures de l’autorité peuvent bien sûr être analysées à travers leur représentation dans les œuvres littéraires. Les autorités « classiques » comme le père de famille, les dieux, les chefs d’État ou bien l’autorité de la majorité sociale y sont vastement représentées, souvent déconstruites. Mais se pose également la question de l’autorité du texte : ainsi, l’interrogation de Michel Foucault sur l’autorité de l’auteur dans la production d’un texte, dans Qu’est-ce qu’un auteur (1969), mérite d’être reconsidérée dans le contexte de la production des textes collectifs sur le web ou des débats sur les droits d’auteur. La théorie de la réception, fondée par l’Ecole de Constance – notamment par Wolfgang Iser, Wolfgang Preisendanz, Manfred Fuhrmann et le romaniste Hans Robert Jauss – permet également de mieux comprendre les différents niveaux de l’autorité (de l’auteur, du texte, du lecteur). Les mêmes interrogations traversent les études théâtrales : quelles sont les conséquences des tentatives du théâtre postdramatique de briser le « quatrième mur » qui sépare les acteurs des spectateurs ? L’autorité de la pièce, de la production du sens, est-elle, dans le théâtre moderne, aux mains des acteurs, des spectateurs ou oscille-t-elle entre les deux ?
Force est cependant de constater que, étonnamment, le concept de l’autorité apparaît rarement explicitement dans les sciences littéraires – malgré l’ouvrage collectif Autorität der/in Sprache, Literatur, Neuen Medien, paru en 1999, qui s’interroge entre autre sur l’autorité de la traduction et de la citation, ainsi que sur la relation entre auctor et auctoris. Les auteurs y défendent l’hypothèse selon laquelle la nécessité, la fonction et la mise en scène – donc les formes de l’autorité, permettent d’appréhender l’histoire de la culture. 4
Enfin, la question de l’autorité a également été pensée de manière expérimentale en psychologie. L’exemple le plus connu est certainement l’expérience menée par Stanley Milgram dont les résultats ont été vivement critiqués et discutés au sein de la discipline, démontrant que la question de l’autorité demeure difficile à étudier empiriquement.
Plusieurs angles d’analyse – non exclusifs – des figures d’autorité peuvent être envisagés :
- légitimation et délégitimation des figures d’autorité Pourront être évoquées des questions telles que l’établissement, la pérennisation, la réaffirmation, la remise en question ou encore le renouveau de l’autorité à travers une analyse des stratégies mises en œuvre, des actions et activités ainsi que des conflits entre figures d’autorité et autres acteurs sociaux.
- représentation des figures d’autorité On s’intéressera aux représentations, à la symbolique et au langage utilisés afin de communiquer et de mettre en scène la domination des figures d’autorité.
- conceptualisation et théorisation des figures d’autorité Il s’agira d’interroger les concepts et méthodes opératoires en vue d’une définition ou classification des figures d’autorité : quelles en sont les caractéristiques ? Comment penser l’autorité ? Qui (ou qu’est-ce qui) fait figure d’autorité ? Comment les sciences humaines et sociales peuvent-elles appréhender dans leur diversité les figures de l’autorité ? L’idée de « figure de l’autorité » est-elle épistémologiquement pertinente ? S’agit-il d’un concept opératoire ?
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Le dossier thématique du numéro 8 de la revue Trajectoires se propose donc de penser les figures d’autorité dans une perspective interdisciplinaire. Les études cherchant à proposer une définition ou conceptualisation de la figure d’autorité, fondées sur des matériaux empiriques, théoriques ou littéraires sont particulièrement bienvenues. Trajectoires s’attachant avant tout à l’étude des mondes francophone et germanique, nous encourageons également les auteurs à proposer des études comparatives.
Trajectoires souhaite susciter l’intérêt de jeunes chercheurs (doctorants ou post-doctorants et éventuellement mastérants) en sciences humaines et sociales. Les propositions d’article en langue française ou allemande de 5.000 signes maximum (espaces compris) devront faire apparaître clairement la problématique, la méthode, le corpus/ le terrain et les éléments centraux de l’argumentation. Elles sont à envoyer, accompagnées d’un CV scientifique, au plus tard le 20 mars 2014 au comité de rédaction : trajectoires@ciera.fr.
Les auteurs sélectionnés seront avertis le 30 mars et devront envoyer leur texte avant le 1er juin 2014. Les articles seront ensuite soumis à une double peer review. Des informations pour auteurs sont disponibles sur le site du CIERA : http://trajectoires.revues.org/472
La revue Trajectoires, travaux de jeunes chercheurs du CIERA est publiée sur le portail revues.org : http://trajectoires.revues.org/
1) « …die Chance […], für spezifische (oder : für alle) Befehle bei einer angebbaren Gruppe von Menschen Gehorsam zu finden. […] Herrschaft (‚Autorität‘) in diesem Sinn kann im Einzelfall auf den verschiedensten Motiven der Fügsamkeit : von dumpfer Gewöhnung angefangen bis zu rein zweckrationalen Erwägungen, beruhen. » Weber, Max [1922](1980) : Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriss der verstehenden Soziologie. Tübingen (Mohr), p. 122.
2) Bourdieu, Pierre (2001) : Langage et pouvoir symbolique. Paris (Editions du Seuil), p .210.
3) Balandier, Georges, (1980) : Le pouvoir sur scènes. Paris (Balland).
4) Fohrmann, Jürgen, Kasten, Ingrid, Neuland, Eva, dir. (1999) : Autorität der/in Sprache, Literatur, Neuen Medien. Vorträge des Bonner Germanistentags 1997. Bielefeld (Aisthesis), p.13.